Éditions GOPE, 228 pages, 13x19 cm, ouvrage illustré, 18.85 €, ISBN 978-2-9535538-5-7

vendredi 27 juillet 2012

Robert Raymer : un Américain peut-il écrire une nouvelle malaisienne ?

Il y a deux mois, l'éditorialiste du New York Times, Liesl Schillinger, fit remarquer que, dans la sélection des écrivains en lice pour le National Books Awards 2009, « trois des cinq candidats, dans la catégorie fiction, n'étaient pas nés aux États-Unis et que deux d'entre eux vivaient à l'étranger ». Elle posa alors la question suivante : « Qu'est-ce que cela signifie d'écrire un roman américain si l'on n'a même pas besoin d'une adresse postale américaine pour le faire ? »

En examinant les nouvelles et essais de Robert Raymer, cette question est d'actualité, mais cette fois-ci replacée dans le contexte de la Malaisie. Écrire un livre malaisien, cela signifie quoi au juste ?
Une adresse locale ?
Raymer en a une et ce depuis juillet 1985. Il a enseigné, depuis, à l'université Sains Penang et à Malaysia Sabah. Il déclare : « Après l’obtention de mon diplôme à l'université de Miami, j'ai parcouru l'Europe, sac au dos, pendant trois mois ; puis, deux ans plus tard, l’Extrême-Orient et l’Asie du Sud-Est, Kuala Lumpur incluse. Je rencontrais continuellement des personnes qui prenaient des congés pour faire des recherches et écrire un livre. Super idée ! En bossant chez Kinko, dans le Wisconsin, j'ai rencontré une jeune diplômée qui venait de Malaisie, elle était étudiante en journalisme. Elle m'a fait connaître quantité de magazines sur la littérature. Je les ai littéralement dévorés. Après notre mariage, nous avons rendu visite à sa famille, en Malaisie, et j'ai écrit ma première nouvelle, Mat Salleh (incluse dans Trois autres Malaisie) ».

Dans cette nouvelle, mélange de fiction et de réalité, Raymer écrit à la première personne. Il est l'étranger qui pénètre un monde tropical « de kampungs aux maisons sur pilotis et de plantations de palmiers, de cocotiers et d’hévéas. » Un monde qui « contrastait radicalement avec les vingt centimètres de neige que nous venions de quitter aux États-Unis ». Il observe, parfaitement conscient de ne pouvoir comprendre les nuances des codes culturels locaux et il met toute sa volonté et son énergie pour essayer de les déchiffrer.
Quand on l'accueille, pour la première fois, avec des grands « Mat Salleh ! Mat Salleh ! », il remarque le regard courroucé que porte sa femme aux enfants, mais ne comprend pas ce qui cloche. Plus tard :
« On me fit asseoir sur le plancher. Croisant les jambes, je me rendis compte que j’avais oublié de laisser mes tennis au pied de l’escalier, là où toutes les autres paires avaient été abandonnées, éparpillées.
Heureusement, Yati ne s’était aperçue de rien. Discrètement, je passai les preuves de ma première bourde sociale à Haris, qui les déposa pour moi au pas de la porte. »

Raymer écrit avec humilité que l'Autre c’est lui et non ceux qui sont les sujets de ses observations et commentaires, et qu'il doit se frayer un chemin dans cette culture.

En effet, on trouve d'autres nouvelles dans Trois autres Malaisie dans lesquelles le narrateur est un individu pour lequel la Malaisie est un pays étrange, enveloppé de mystère et empreint d'humidité comme c'est le cas dans Les vendredis.
Dans Naufrage – bien qu'écrite à la troisième personne – Ross, un professeur américain, se retrouve dans un programme de jumelage local. L'histoire commence par une banale conversion entre l’enseignant et Mlle Ooi, la réceptionniste :
« Tu as dû te convertir, n’est-ce pas, quand tu t’es marié avec Nora ? demanda Miss Ooi.
Ross hésita. En effet, il s’apprêtait à quitter le travail, après une longue journée passée à conseiller des étudiants malaisiens qui souhaitaient faire un deuxième cycle aux États-Unis.
— Oui, répondit-il, en jetant un coup d’œil au New Straits Times ouvert sur le bureau de la réceptionniste. C’était pas grand-chose, à vrai dire. J’étais déjà circoncis. Sinon, ça aurait été plus gênant.
— Oui, les Chinois doivent aussi y passer lorsqu’ils se convertissent, dit Miss Ooi en levant les yeux de son point de croix. »
L'histoire se poursuit jusqu'à révéler les tensions sous-jacentes à une conversion religieuse de convenance.

© M.A.M08
www.flickr.com/photos/33488374@N03/
L’expatrié n’est pas le personnage principal, ou même secondaire – tapi dans un coin, à commenter la vie, quelques degrés au-dessus de l'équateur – de toutes les nouvelles de Raymer : Le guetteur traite d'un vieux Chinois et de sa famille. Pas d'expatrié non plus dans À l'Hôtel de la Gare ou Hari Raya.
Ces nouvelles-là ont pour sujet une Malaisie dont les habitants sont plus vrais que nature. L'observateur et narrateur de leurs actions, bien qu'il ne soit à aucun moment ouvertement déclaré, est un Malaisien. Ou du moins, une voix qui semble malaisienne. Elle transpire la « Malaisi-tude ». Les Malaisiens qui liront ces nouvelles penseront qu’elles ont pour protagonistes des gens qu'ils connaissent : leurs voisins, leurs collègues de travail, ou ceux qu'ils rencontrent sur le trajet, pour se rendre au boulot, dans le bus ou dans le train. Ces histoires révèlent l'authenticité des existences malaisiennes.

Tash Aw, Shamini Flint, Preeta Samarasan et Twan Eng Tan sont quatre Malaisiens qui vivent et écrivent à l'étranger – respectivement au Royaume-Uni, à Singapour, en France et en Afrique du Sud. L'adresse postale n'a donc rien à voir. Le fait qu'une œuvre de fiction soit malaisienne ou pas tient plus à la façon dont les perspectives, valeurs, existences et interactions sociales inhérentes au pays prennent vie. Raymer déclare : « puisque je vis ici, il me semble naturel d'écrire sur la Malaisie. De plus, j'ai tous ces voisins et membres de ma famille que je peux observer de près. Mais eux aussi m’observent ! Quand je ne comprenais pas un point culturel, celle qui est maintenant mon ex-épouse, une journaliste, me l'expliquait. »

Lovers and Strangers Revisited < N.d.E : le titre original de Trois autres Malaisie > a remporté le populaire Star Reader's Choice Award  2009, dans la catégorie Fiction. Cette consécration doit être la confirmation que la démarche de Raymer est la bonne et doit interpeller les Malaisiens. Oui, un Américain peut écrire des nouvelles malaisiennes…

S. H. Lim






www.timeoutkl.com, Kuala Lumpur, Malaisie.
Traduit de l’anglais par Laurence Ricciardi-Soler.

jeudi 14 juin 2012

Multiple Malaisie



Une immersion dans le quotidien et les coutumes traditionnelles des communautés malaise, chinoise et indienne de Malaisie : c'est ce que nous propose Robert Raymer dans ce recueil de quatorze nouvelles agréablement illustrées. Au fil de ces récits nous est livré le portrait d'une société composite, à la richesse culturelle fascinante, où les communautés se croisent mais peinent aussi parfois à se mélanger. Un dépaysement rare, au sujet d'un pays dont on parle peu.
Petit futé mag, n°38, mai-juin 2012

lundi 7 mai 2012

Douce tristesse


Une impression de tristesse se dégage de Trois autres Malaisie de Robert Raymer. Vous ressentez la solitude, l’affliction, la frustration. Les personnages semblent pris au piège de leur petit monde, certains sont même si égocentriques qu’ils sont incapables de voir au-delà de leur nombril.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ces histoires sont intéressantes. Mais elles sont tristes ! Le bonheur semble absent de la vie des protagonistes. Vous pourriez reconnaître la majorité d’entre eux, bien qu’ils ne soient pas réduits à des stéréotypes ; ils ressemblent à des gens que vous avez dû rencontrer quelque part, à quelque occasion, et auxquels vous n’avez jamais franchement fait attention avant qu’ils ne soient mis au premier plan dans ce livre étrangement émouvant.

© mekYEH
www.flickr.com/photos/mekyeh/4288089684/in/set-72157623117458685
En fait, c’est ce qui, à mes yeux, rend Trois autres Malaisie touchant : son caractère authentiquement malaisien. Je ne lis pas beaucoup de livres écrits par des Malaisiens (ou des auteurs vivant en Malaisie), alors je ne suis pas la mieux qualifiée pour comparer. Par contre, j'ai vraiment apprécié de pouvoir reconnaître les personnages de ces histoires et pour certains, je pouvais même m'identifier à eux.
Prenez par exemple Les pierres saintes. C’est typiquement malais de penser qu’un homme qui a l’air d’un religieux est forcément honnête ; dans ce cas, on comprend très bien pourquoi Roshma lui achète des pierres magiques aussi chères. Mais cette histoire ne se termine pas exactement comme toutes ces escroqueries qui sont relatées dans les journaux, parce que Raymer y a rajouté un élément qui vous fait vous demander… et si ?

Considérez ensuite La chambre de grande sœur, où l’auteur décrit la jalousie d’une petite fille pour son aînée qui a droit à un traitement de faveur. On voit les choses par les yeux de la fillette, avec ses mots, en toute innocence. Cependant, Raymer laisse supposer avec subtilité que quelque chose ne tourne pas rond, et c'est effectivement et malheureusement le cas.

Les vendredis est l’une de mes préférées. Les personnages sont si bien campés qu'ils prennent littéralement vie, vous pouvez presque les voir et les entendre. Cette nouvelle est très réaliste et les interactions entre les différentes races sont résumées d’une manière que je ne pensais être possible que de la part d’un Malaisien.
Le protagoniste essaie vraiment de comprendre l’autre passager, une Malaise, il désire savoir ce qui la préoccupe. Pendant ce très court trajet en taxi, les émotions naissent si intensément qu’elles finissent par devenir une obsession. Sauf qu’il laisse passer le moment sans rien faire et qu’après, il est trop tard. Si seulement…

Il y a beaucoup de « si seulement » dans ce livre…

Certaines histoires mettent en scène des expatriés, certains d’entre eux ne trouvent pas leur place en Malaisie où tout leur est si étrange et différent. Dans la plupart des cas, Raymer décrit des comportements dont nous avons tous été les témoins ou acteurs, et il réussit même à ce que nous nous mettions dans la peau de ces expatriés ; nous voyons alors les choses à leur façon. Mat Salleh, où une jeune Malaise présente son mari américain à sa famille dans son village natal, en est le meilleur exemple.

Dans cette autre histoire de couple mixte, Naufrage, […] un étranger suit son épouse malaise ici, mais leur mariage tourne court et il reste coincé dans un pays qui ne lui semble plus du tout accueillant. Triste !

Les amants anonymes a toutefois une fin plus heureuse bien qu'elle ait une tonalité lugubre. C’est assez intéressant de voir comment un homme peut être attiré par le même genre de femmes auto-destructrices sans se rendre compte qu’il se met en danger lui-même à chaque fois.

Je dois avouer que j’ai été agréablement surprise par Trois autres Malaisie même si je me suis sentie un peu mélancolique en le refermant. Mais, quelquefois, la mélancolie a une action libératrice…

Dzireena Mahadzir
The Star, Petaling Jaya, Malaisie


mercredi 18 avril 2012

Un visage auquel on pouvait faire confiance

Les pierres saintes : confrontée à la maladie de son mari, Rosmah fait confiance à un marchand itinérant et achète trois pierres saintes aux pouvoirs surnaturels. Mais suffiront-elles à le sauver ?

© Orange Bread
www.flickr.com/photos/orangebread/560406609/



Extrait :

Face à lui, Rosmah se sentit brusquement gênée, mais aussi étrangement soulagée. Elle se prit vite d’affection pour cet homme au visage affable et honnête, à la fine moustache et à la barbichette bien taillée. Un doux sourire semblait errer en permanence sur ses lèvres et une étincelle luisait au fond de ses yeux marron mi-clos. Quand elle vit les écrits coraniques entre ses mains, Rosmah s’en voulut de l’avoir dévisagé aussi longtemps.
[...]
« Vous m’avez dit que votre mari était malade. Je puis peut-être vous aider. »
Ces mots réjouirent Rosmah, bien que temporairement. Elle avait déjà entendu semblables paroles. Elle lui raconta tout au sujet des médecins et de leurs opinions contradictoires. L’un avait parlé de cancer de l’intestin, l’autre d’un problème au foie, voire d’une hémorragie interne. Les bomohs envoyés par Omar avaient tenté divers remèdes et lancé diverses incantations, toutefois rien n’y faisait et l’état de Yusof empirait.
Haji Abdullah acquiesça poliment et prit la parole.
« J’ai ramené des pierres spéciales de La Mecque.
Il plongea la main droite dans l’une de ses poches de devant pour en extraire deux cailloux d’un blanc opaque, qu’il exposa sur sa paume tendue.
Ces pierres saintes peuvent guérir les malades et sauver les mourants. Mais vous devez croire.
— Je… je ne sais pas.
— Il est important pour vous de croire, reprit-il. Depuis combien de temps votre mari est-il malade ?
Rosmah ne pouvait détacher son regard des pierres. D’une voix calme, elle répondit :
— Cinq mois.
— Ces pierres saintes peuvent guérir votre mari. Mais vous devez y croire, sinon elles ne marcheront pas. »

mardi 17 avril 2012

EASY VOYAGE : SÉLECTION LIVRE DE LA SEMAINE

www.easyvoyage.com/livre/trois-autres-malaisie


TROIS AUTRES MALAISIE

Un livre a le pouvoir de faire voyager son lecteur, tout en restant immobile. Et c'est particulièrement le cas de Trois autres Malaisie. Ce recueil de quatorze nouvelles permet de découvrir les trois principaux visages de la population malaise. Qu'il soit Malais, Chinois ou Indien, chacun possède une histoire, des coutumes et des traditions... des origines différentes qui contribuent à la force du pays. A travers 14 nouvelles, le livre relatent des histoires de la vie. On apprécie particulièrement le choc des cultures relaté dans Mat Salleh, nouvelle présente dans la partie malaise du livre ; tout comme celle des amoureux déchirés par la routine quotidienne, que l'on trouve dans la partie chinoise du recueil. Ces histoires ont été écrites par Robert Raymer, adopté par la Malaisie depuis plus de 20 ans, et qui vit aujourd'hui sur l'île de Bornéo avec femme et enfants. Facile et rapide à lire, on en ressort grandi.

samedi 3 mars 2012

Email d'un lecteur

[…] cette fois-ci ma faute est de ne pas vous avoir parlé de ces Trois autres Malaisie !
© Pascal Hierholz
www.pascalhierholz.com/?p=23

J'ai tout lu avec beaucoup de plaisir. Je l'ai passé à ma femme pour recueillir un avis non inconditionnel de la Malaisie.

C'est, en moyenne, très plaisant à lire, et très descriptif des divers petits mondes malais. On peut absolument le recommander aux touristes, comme complément d'information : les Malaisie me semblent bien vues et bien décrites, avec de l'atmosphère et de bons récits des problèmes que les habitants se posent. Évidemment, il y a peut-être un peu trop de Mat Salleh pour mon goût personnel. J'aurais sans doute préféré plonger davantage dans les seules Malaisie sans étrangers. Mais l'auteur étant Américain, il était normal qu'il vive avec plus de réalisme les relations entre étrangers et Malais (de souches différentes, c'était amusant). 

Je ne pourrais vous dire quelles sont les nouvelles que j'ai préférées. Il me semble, à première vue, que chacune d'entre elles possède ses qualités propres, quelle qu'en soit la longueur. Peut-être suis-je conditionné depuis mon enfance à préférer ce qui est vraiment malais (ou malais d'origine) ?

Avec mes meilleurs sentiments,
R. F.

vendredi 2 mars 2012

www.eurasie.net/webzine/spip.php?article1060


Tout voyageur qui met un pied en Malaisie s’aperçoit assez rapidement que le pays a – au minimum – trois visages principaux : malais, chinois et indien. Une composition triple qui découle de siècles de commerce, d’échanges et de rencontres. L’auteur de ce recueil de nouvelles, Robert Raymer, pouvait difficilement échapper à cette tripartition. Qui donne lieu à des variations très différentes les unes des autres.

Côté malais, on assiste à l’arrivée d’un étranger à la peau blanche dans sa belle-famille malaise. Et on réalise qu’il est fort compliqué d’être un « mat salleh ». Le choc des cultures, bien entendu, mais aussi celui des traditions, présenté dans une autre nouvelle, où de jeunes musulmanes vont avoir toutes les difficultés du monde à lutter contre les traditions.

Dans la partie « chinoise », changement de ton : l’heure est aux relations amoureuses… qui tournent mal. Un couple d’amants tombe dans les excès de la routine jusqu’au déchirement. Un second duo se retrouve de manière effrayante au-delà de la mort.

Enfin, la partie indienne nous présente une histoire effrayante : celle d’un avocat, assis devant le comptoir d’un bar, et dont l’ivresse cache un terrible secret. Au final, un enchevêtrement d’histoires qui glissent entre les cultures, les langues et les traditions.

Très dépaysant.

Emmanuel Deslouis